Vendredi 28 avril 2017, Le Delas organisait un déjeuner sur le thème « Asperges d’Uza et Vins Château de Fargues » dans son fief à Rungis : Jean-Claude Ribaut, architecte devenu chroniqueur gastronomique au Monde pendant 20 ans, nous en fait le récit, gourmand et empreint d’anecdotes cultivées comme il sait si bien le faire !
Autour de la table :
- Amphitryon : Antoine Boucomont, P.D.G de Le Delas
- Chef cuisinière du Château de Fargues: Christine Rigoulot
- En présence de S.A.R. le duc d’Angoulême, Eudes d’Orléans, directeur général du château de Fargues, domaine de Lur-Saluces,
- Sous la présidence de Xavier Espana, Grand maître de la Commanderie des ambassadeurs gastronomes de Rungis,
- Participants : Eric Briffard, Chef Exécutif et Directeur des Arts Culinaires de l’école Le Cordon Bleu,
- Pierre Sanner, directeur de la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires,
- Matthieu Garrel, chef du Bélisaire et quelques autres convives.
- Jean-Claude Ribaut, architecte et gastronome
Au menu :
- Entrée froide : asperges blanches pochées en fagot sur un lit d’émincé de Saint-Pierre ; assaisonnement d’huile de pistache, un trait d’huile de noisette, citron vert et sauce soja
Vin : Château de Fargues 2002 : arômes crémeux, minéralité et fraîcheur, légère pointe d’amertume qui rend l’accord fusionnel avec l’asperge ; à peine dominé, toutefois, par l’huile de noisette.
- Plat principal : Asperges pochées, passées au sautoir avec un mélange d’épices délicates et un léger voile de comté (pâte pressée cuite au lait cru de vache) accompagnant une dodine de volaille, avec une sauce au blanc (oignons, champignons, jus de volaille) agrémentée de morilles fraîches.
Vin : Château de Fargues 2007. Vin élégant, riche et puissant d’un équilibre parfait, au nez et au palais, avec des notes d’agrumes et de fruits confits. Connivence parfaite avec le plat, sans doute en raison de la présence très discrète d’épices, indécelables en bouche.
Les asperges d’UZA :
A la suite de la tempête hivernale de janvier 2009 et ses conséquences désastreuses sur le massif forestier, source principale de son activité sylvicole, le Domaine d’Uza a redéveloppé un pôle agricole autour du village d’Uza.
Intransigeant sur la qualité et toujours en quête d’excellence, le choix de la famille de Lur Saluces s’ est porté sur la production d’asperges biologiques.
La plantation s’étend aujourd’hui sur 18 hectares et la production atteint une centaine tonnes par an. La méthode de l’agriculture biologique garantit des produits exempts de résidus de molécules chimiques issues des engrais d’origine pétrolière, des insecticides, des désherbants, des fongicides et des antibiotiques présents dans les effluents d’élevage industriel.
Le Domaine d’Uza a reçu en 2016 la distinction de « Producteur-Artisan de Qualité » décernée par le Collège Culinaire de France.
Les vins :
Sauternes et Barsac sont vins de longue garde, dont la possession est gratifiante pour l’amateur de bouteilles rares.
Leur différence tient à leur complexité aromatique, elle-même provoquée par un champignon microscopique, Botrytis cinerea, agent de la «pourriture noble» qui se développe sur les raisins ayant atteint un degré avancé de surmaturité, lorsque la brume matinale, humide et froide, saisit la grappe tardive.
Botrytis cinerea s’attaque d’abord à l’intérieur,puis à la peau du grain, qui prend une couleur brun violet, et la pellicule disparaît : c’est le «pourri plein». Le second stade est atteint lorsque le grain est ridé et subit en quelque sorte une première fermentation : on dit qu’il est «rôti».
La richesse en sucre croît jusqu’à 18 ou 20 degrés, l’acidité diminue, et déjà s’élabore cette fameuse complexité aromatique, souvenir de la fleur et des fruits mûrs. La vendange est un processus lent et délicat : elle est faite par «tries» successives de trois à six passages.
Le Château de Fargues appartient à la famille de Lur-Saluces depuis 1472.
Aujourd’hui, le comte Alexandre de Lur-Saluces (ancien P.D.G. d’Yquem – 1969 –2004) dirige le domaine d’une main de maître, appliquant les mêmes principes draconiens de viticulture et de vinification qu’autrefois à Yquem : faibles rendements (8 hl/ha), trie impitoyable de la récolte pour ne garder que le meilleur de la pourriture noble, élevage de 42 mois en barriques d’un an, absence de filtration, etc.
Seule ombre à ce joli tableau : la production s’avère extrêmement faible, laissant de nombreux amateurs à leur frustration. Puissant mais incroyablement élégant, le vin offre des arômes complexes et savoureux d’agrumes, de fruits exotiques et de genêt, mais aussi de pain grillé et d’épices douces. Un très grand liquoreux taillé pour la longue garde.
Lire « D’Yquem à Fargues, L’excellence d’un vin, L’histoire d’une famille » Gallimard 2016.
Tous les hôtes de ce repas d’exception, unanimes, ont salué la justesse des accords recherchés par Christine Rigoulot, talentueuse chef cuisinière du Château de Fargues.
Les échanges autour de la table, ont porté sur les différentes variétés d’asperges. Pourquoi varient-elles de teinte ?
- Blanche, vierge de toute fonction chlorophyllienne, elle n’a pas vu la lumière du jour ; c’est l’absence de lumière qui lui donne un goût délicat et très fin.
- Verte, elle a poussé à l’air libre.
- La violette est une asperge blanche que l’on a laissé s’échapper de sa butte pour profiter de quelques rayons de soleil.
Voilà bien l’un des mystères de la Nature : l’asperge blanche souterraine est l’antithèse du vin à la couleur d’or, car il ne peut exister que parce que les raisins ont été soumis aux rayons solaires ! Ce n’est pas le moindre paradoxe de ces deux produits exceptionnels et peut-être aussi l’explication de leurs affinités.
Les asperges ont toujours aiguisé la curiosité des cuisiniers. Il m’est revenu en mémoire qu’Eric Briffard (au Cinq) cédait à la sophistication d’une composition de morilles et asperges d’Argenteuil, les premières accompagnées d’un risotto, les secondes d’une mousseline à la réglisse.
La petite histoire de la table fourmille d’anecdotes sur les asperges. Il en fut question au cours de ce repas.
J’en ai ajouté quelques autres, sans toutefois épuiser le sujet, ni, j’espère, le lecteur.
Fontenelle aimait les asperges au beurre fondu. Ayant un jour convié à déguster un cent d’asperges son ami l’abbé Terrasson qui les préférait à l’huile, ce dernier, frappé d’apoplexie, rendit l’âme en moins de temps qu’il n’en faut pour cuire les asperges: « Velocius quam asparagi coquantur » disait Suétone. Fontenelle se précipita alors à la cuisine et s’écria : « Thérèse, les asperges, toutes au beurre ! » Il vécut centenaire.
Poil-de-Carotte s’étonnait – comme tous les enfants – de l’odeur sui generis, lorsqu’après déjeuner on arrose l’herbe du jardin.
L’asperge change « mon pot de chambre en un vase de parfum » se réjouissait Marcel Proust, avant qu’un peu d’essence de térébenthine n’en dissipe les effluves.
Quoi qu’il en soit, on mangeait les asperges avec les doigts chez les Verdurin, avec une fourchette et un couteau chez les Guermantes.
L’asperge était réputée aphrodisiaque car, sous un climat propice, elle pousse de près de 5 cm par jour. D’où le conseil de Jacques Lacan à l’un de ses patients qui soufrait de problèmes érectiles : «Allez donc regarder pousser un champ d’asperges ! »
L’asperge a toujours suscité des allusions grivoises. « Ne pas tremper son asperge dans n’importe quel coquetier », est une expression argotique oubliée depuis la découverte de la pénicilline.
Auguste Le Breton nous dit que « les péripatéticiennes vont aux asperges », qui cependant ne poussent pas sur les trottoirs.
Rabelais, le bon curé de Meudon, recommandait, pour activer la pousse de ce légume, l’engrais de cornes de bélier : « En peu de mois, vous en verrez naître les meilleures asperges du monde. Allez moi dire que les cornes de vous autres, messieurs les cocus, aient vertus telles et propriétés tant mirifiques» dixit Panurge !
Ces franches plaisanteries gauloises devaient ravir les contemporains d’Henri III qui, selon les ligueurs, en faisait servir à ses mignons. Avec quelle sauce ? L’histoire ne le dit pas.
Jean-Claude Ribaut
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